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Richard Pinhas, Dialogues.

Avec Heldon, Gilles Deleuze, Merzbow, Wolf Eyes, Pascal Comelade, Jacques Lacan, Magma, Robert Fripp ou Daft Punk ... Richard Pinhas est toujours là, au centre des choses, au cœur du monde. Son tout dernier »Desolation Row« est donc une nouvelle occasion de s'n parler, tous ensemble.

»Comment dire? Je vais le dire autrement …«
(Rabbi Adin Steinsaltz)

skug: Au commencement, pour toi, est-ce la guitare?
Richard Pinhas
: Au commencement était le verbe … (bon aller je vais essayer d’être sérieux). Oui, vers treize ans, la guitare et quelques morceaux très rares qui ont déclenché une sorte de ferveur en moi (le »Last Time« des Rolling Stones). Mais j’ai décidé de devenir guitariste (au sens Deleuzien, le devenir en tant que procès), en entendant les Yardbirds et leur »For Your Love« , puis rapidement il y eu Hendrix, le plus grand parmi les grands. J’ai commencé sur une grosse guitare sèche* sur laquelle on avait rajouté des micros en plastiques avec une sorte de câble pour brancher tour ça sur l’électrophone »stéréo« de l’époque. J’étais au lycée et sur deux mille élèves un seul avait une »vraie« guitare électrique. Personne pour donner ne serait ce que les trois premiers cours, pas de méthode… bref tout à l’oreille en écoutant 24h/24h et 7/7 les disques Blues Anglais (John Mayall, Fleetwood Mac etc.). A Paris il y avait un seul magasin de musique, même une »Stratocster«, ne serait-ce que pour la regarder avec ses yeux, il fallait la chercher des jours et des jours. Rapidement j’ai eu une Strat rouge cerise, puis la célèbre Gibson-Les Paul de 1957 trouvée dans la banlieue de Londres en 1968 (pour 100 Pounds). J’ai joué dans de multiple groupes de »Blues«, avant de me fracasser sur les Gros synthétiseurs Analogiques type »Mega Moog«, et de commencer le groupe Heldon. Avec l’âge je prends un grand plaisir à jouer 2 à 4 heures par jour devant la télévision (sans le son) et non branché, juste le calme de la guitare. Depuis j’ai une Roland (Guitare Synthétiseur, Roland GR-808, avec des Micros Humbuckers de 1959 et un Sustainer Fernandes). Le manche est ma perfection et je ne joue plus qu’avec elle depuis 1999.

En pensant à comment l’on s’est rencontré je me demandais: est-ce une sorte d’invariante dans ta vie: les rencontres?
Pour moi, ces rencontres sont des points d’inflexion vitaux! (on dirait du Leibniz). Chaque rencontre importante dessine une ligne de vie, une ligne de durée, mais surtout une ligne de composition. Comme un plan d’immanence autonome. En général soit ça m’impactera de façon décisive, soit ça engendrera une machine de production sonore, à chaque fois très singulière.

L’envie de jouer chez toi semble toujours plus forte, est-ce qu’au bout d’un moment dans un long parcours de musique on en arrive pas là justement? Jouer et rien d’autre?
Il y a eu plein de choses importantes dans ma vie, mais j’ai eu deux constantes, comme deux lignes qui ne m’ont pas quitté depuis mes quatorze ans et, aujourd’hui forment le tout de ma vie. C’est la lecture (l’écriture, la littérature, la philosophie), et la musique (jouer de la guitare, les synthés à une époque, faire aujourd’hui avec une guitare ce qu’on faisait avec de synthés hier). Jouer sur scène, à la maison, et surtout enregistrer beaucoup, faire des rencontres musicales (elles auront toutes été déterminantes dans ma vie). Comme, par exemple au début, les musiciens d’Heldon, de Magma, Patrick Gauthier, les Paganotti en famille, et Robert Fripp que j’ai rencontré la première fois en 1974 et que j’ai souvent revu, il m’a tellement aidé, donné beaucoup de conseils (par chance il ne voulait pas donner de cours à l’époque, sinon j’aurais pu mal finir, mais j’avais déjà mon propre style). Mais au-dessus de tout Hendrix, que j’ai vu sept ou huit fois sur scène et que j’ai même rencontré quelques minutes lorsque j’avais 14 ou 15 ans, grand souvenir. Puis il y a eu les rencontres de mots, celles avec les écrivains Philip K. Dick qui a vu notre monde actuel (que j’ai rencontré), Norman Spinrad, (encore un ami de plus), et depuis les Wolf Eyes, Merzbow, Oren Ambarchi, toi, tant d’autres.

Que représente pour toi et aujourd’hui ce lien à Gilles Deleuze, et plus généralement à cette époque assez unique de l’histoire (histoire de la pensée mais de l’action aussi, de l’échange …)
Ce fut une rencontre qui a déterminé toute ma vie, en fait un choix de sa part, le hasard lors de la soutenance de thèse de Jean-François Lyotard (le philosophe avec qui j’ai travaillé à l’Université Paris 8). La philo a toujours fait partie de ma vie, mais Gilles ça a été beaucoup plus que ça, non seulement un très grand maitre en philosophie, mais quelqu’un qui m’a aussi appris à vivre. Une personne vraiment extraordinaire, qui m’encourageait pour la musique, puis c’est resté un ami jusqu’à la fin. En philo, de 1971 à 1987, j’ai suivi intensément ses cours, et les aient enregistrés (puis retranscrits et mis en ligne sur le Site: www.webdeleuze.com). Gilles désirait à la fin découvrir un autre support que le livre, que l’écrit. Le Net est arrivé à point, à une époque ou tout était encore libre et gratuit sur le net. Puis après 1987, nous nous sommes vu régulièrement. Non seulement il m’a donné son savoir, une transmission incroyable, d’une qualité immense, mais il m’a ouvert à ma voix, a toujours été très présent lors de mes difficultés cyclothymiques, un ami, un vrai. Je ne me suis pas vraiment (voire jamais) remis de sa disparition. Mais il est avec moi, en moi, comme un père tutélaire, dans le génie de sa philosophie. Ses concepts étaient totalement opératoires en musique: Différence, Répétition, Temps, Durée, etc. Le virtuel et l’immanence, voilà, je l’aime! Toujours!

Territoires, Villes, Mondes, Lieux … ou habites-tu au propre comme au figuré?
J’ai mis du temps à le réaliser, mais j’habite toujours dans le Ghetto (au propre comme au Figuré). Je n’ai jamais du le quitter, un ghetto à la marge, à la limite, partout et nulle part. Le ghetto de mes ancêtres juifs évidemment mais aussi celui de la musique, le ghetto de la solitude des grands écrivains que j’aime. Le fait que toutes les grandes villes me mettent à l’aise, me rassurent (Tokyo, NYC, Washington, Montreal, Napoli…). Je ne voyage que pour les concerts et les enregistrements, la »création« se fait en chambre (le Studio est une sorte de chambre). Pour le moment seule la production compte, c’est soit rien du tout pendant des mois, soit une intense lumière, une sorte d’état maniaque créatif, le reste une vaste Ombre. Donc citoyen du monde, en mouvement permanent et en réflexion continue, mise en variation continue de nos vitesses de penser et de créer, aurait dit Deleuze …

Ce titre »Desolation Row« est il une référence mythologique, ou à Bob Dylan?
Bien sûr Dylan, toujours et encore, mais aussi la désolation des grandes villes américaines ou j’ai joué et jouerai encore avec un immense plaisir (Baltimore, Detroit, Cleveland …). Musicalement je ne regrette jamais le passé, et je me vois un Avenir Radieux (comme dit le père Mao!). Mais je n’aimerais pas avoir vingts ans aujourd’hui, un avenir sombre se profile depuis le début des années 2000. On n’est pas musicien pour rien.

Quels événements te semblent marquant ces dernières années?
La montée en force du néo-libéralisme, la trahison des élites politiques. Voir que peu à peu la culture disparait de nos pays d’Europe. Mais aussi la très grande force, toujours, de la musique aux États-Unis et au Japon. La faiblesse de la philosophie (hélas), à penser le monde tel qu’il arrive. Le Net, ses effets positifs et maintenant la grande négation qu’il incarne, bref le fait que nous allons tout droit vers le »Animal Farm« d’Orwell …

Quelles suites, ou actualité, pour toi?
Une grosse tournée au Japon là maintenant avec le guitariste des Boredoms et Keiji Haino, mais surtout Merzbow et Yoshida Tatsuya, fantastique batteur et ami, avec lequel je viens de terminer un album en duo, un seul morceau de 71 minutes (sortie USA en 2014). Nous jouerons cet été au Festival Sonar avec Pascal Comelade, je viens de terminer un nouvel album avec Oren Ambarchi, un projet aussi de duo avec le guitariste de San-Francisco, Barry Cleveland, et je l’espère une tournée et un double album avec toi. Sinon gagner un peu de $$$ parce que les temps sont vraiment difficiles. Les USA et Le Japon sont mes terres de prédilections, les albums CD et Vinyles sont sans cesse édités, réédités, sans ces deux pays je serais mort depuis longtemps.

Translation NOTES: *Guitare Sèche (literally: Dry Guitar) is a french expression for cheap acoustic guitar (can be Nylon or Steel Strings, but the kind of first guitar).

Lien

Richard Pinhas: »Desolation Row« (Cuneiform Records)

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