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Retour à Tal Farlow

On ne vous dit pas toujours tout. Parfois on ne la sait pas tout à fait non plus la vérité. Voila qu'un coffret »The Complete Verve Tal Farlow Sessions« sur Mosaic/Universal fait très nettement le point et l'histoire sur le guitariste le plus extravaguant des années 50. Géant aux mains de pieuvres, revenons sur le génie de son jeu.

Au début il s’agit d’écouter ici et là des musiques puis des musiciens en train de se battre avec leur outil. C’est du moins ce que tout guitariste risque de faire á un moment ou á un autre de son éducation et ce surtout si elle prend des airs d’autodidacte. On pioche dans l’histoire comme on fait ses courses. Il faudra rencontrer d’autres individus dans la même position pour que l’information se fasse enfin plus juste, plus précise, plus palpable aussi. On ne comprend pas le monde en deux heures, il faut revenir a tout et laisser au temps sa propre durée. Tal Farlow est un génie mais sans doute pas une icône. Farlow est peintre en lettre, bricoleur électronique aussi, il a tout de l’amateur et même du dilettante. Il passera la majeure partie des années 40 a faire des aller-retour entre musique, métiers et découverte par la radio des premiers enregistrements de Charlie Christian chez Benny Goodman. Au fond son statut d’homme de l’ombre tiendra surtout a sa très courte carrière dans les années 50. Souffrant très tôt des maux de la grande ville (New York, la nuit, l’alcool, les clubs), il se retire sur la cote est a peine dix ans après avoir été découvert par le grand public. Restera une légende mais pas seulement. Car écouter son jeu de
guitare aura en passant révolutionné le monde du jazz et de la guitare pour des décennies. Tout chez lui est sur dimensionne, des mains de géants, des accords a 4 ou 5 notes qu’il déplacent comme si de rien n était, des phrases extrêmement précises et sinueuses qui se promènent aux tempi les plus rapides, un sens du rythme inamovible, un son absolument cristallin et d’une brillance presque aveuglante. Bref: comment as-tu pu échapper a cela si longtemps, toi lecteur de cette revue? Recentrons le propos, recadrons les objectifs : il ne s’agit pas ici de promouvoir une fois de trop l’histoire du Jazz mais bien d éclairer la chose, le fait, l évidence. Le Jazz est la première musique populaire, c’est de là dont on voudra repartir le plus sûrement pour entendre le reste se dérouler. Je ne vous fais pas l’article, vous le savez sans doute déjà, il y a de Sun Ra a Missy Elliott, de Stevie Wonder á Art Tatum, de Miles Davis a Picasso, mais aussi de Britney
Spears a Doris Day, plus que du liant. Entendez donc Farlow ainsi. Précurseur, pionnier, inventeur, empêcheur de jouer en rond, formidable moteur d un progrès artistique, qui ne se jauge qu a l’émulation des pairs. Ca s’agite sous les gants et sous les bonnets lorsque ce bon vieux Tal au look de gentil retraité made in USA, sourire ultrabright, costume coupé Golf ou Yacht, démarche bonhomme et lunettes fumées, dégaine son mediator et switch l ampli sur On. Vous lisez quand même un peu de littérature XVIII. éme j’espère? On ne peut pas éternellement vivre sur les nouveautés et les variétés du moment (oh le vilain moment que nous subissons, surtout ce 5 novembre). Un artiste de la taille de Farlow ça se mesure en retour, justement, a des Keith Rowe, des David Tudor ou des Ornette Coleman. Et pourquoi pas d abord? Simplement parce que les conventions veulent que lorsque une communauté a trouvé son pape ou son chef de guerre elle referme immédiatement les portes du château fort ou du bunker? Soyons magnanimes et laissons entrouvert tout ce qui le peut être encore, laisser bailler les idées et divaguer l’écoute. Farlow est un monstre de la forme. Il se pose une structure, la réduit puis l explose, littéralement. Il fixe les règles de son jeu dans le cadre de standards le plus souvent, aux harmonies assez
traditionnelles voir orthodoxes puis la partie d’échec démarre. Passer au travers de chaque accord, chaque bloc, chaque instant. Le mediator débit des tranches de temps avec des phrases qui n ont de cesse d’étendre la gamme, d’élargir l’écart entre la note la plus haute et la plus basse dans
une même phrase. C’est pas Proust mais c’est pas si éloigné dans les conséquences. Et a aucun moment l’on est perdu, non, non. Il nous perd parce qu’il nous accroche de la première note et qu’il nous ballade a une telle vitesse de penser et de réaction que l’on est sonné, abasourdi. C’est un peu comme d’aller a Coney Island ou Praterstern sur la grande roue. C’est fou. Farlow c’est fou, c’est inimaginable, c’est incroyable, c’est aussi tellement smart et cool. C’est d’une telle élégance naturelle, jamais forcée, que du velours sous les doigts. Et puis il y’aurait bien sur encore mille choses a dire sur tels et tels aspects de son jeu, les percussions bongo, les Fausses harmoniques, les voicings, tout ça, tout ça. Alors? Vous voudriez continuer a ignorer cela des lors que vous pourriez vivre avec et en plus? Il ne faut pas se priver, il ne faut jamais se priver (a moins d’avoir un bon mot d excuse … et encore). Jouez Farlow! Vous m’en donnerez des nouvelles.

»The Complete Verve Tal Farlow Sessions« (7-CD-Box Set, Mosaic/Universal)
+ DVD: »Tal Farlow – Live at Bowling Green State University« (Mel Bay Publications – www.fretsonly.co.uk)

Parution dans la version allemande: skug Vol. 61, 12/04-02/05
(Traduction: Alessandro Barberi)

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