# 2 / Avant-Propos: Le statut d’intermittent du spectacle.
Puisque la crise vient de sa réforme nécessaire et de la réouverture du dossier par le ministère cet été, essayons rapidement de le décrire. Créé en 1936, il prend sa forme actuelle vers la fin des années soixante. En 2001, ce régime exceptionnel d’assurance chômage concernait 117 000 personnes (en gros 40 % d’artistes et 60 % de techniciens). Il s’agit en quelque sorte de couvrir d’un revenu les périodes sans emploi des métiers du spectacle. C’est une sorte de subvention deguisée palliant au travail effectué autour de la création mais non salarié ou faiblement rémenuré. Le montant de ces allocations (au calcul trop complexe pour etre exposé ici), peut facilement atteindre le double des revenus que touche l’intermittent directement par ses cachets, mais reste néanmoins plafonné à environ 2000 euros par mois (disons une fourchette qui va de 300 a 2000). En France, chaque employeur (société de production, festival, théâtre, chaine de télé, label, …) paye une part de charges à cette caisse chômage qui représente environ 50 % du cachet versé. En échange de quoi, un intermittent du spectacle pouvant justifier d’une cinquantaine de cachets (507 heures en 12 mois, un cachet isolé valant pour 12 heures et au delá de 5 cachets consécutifs cela passe à 8 heures), se voit ouvrir des droits payés par jour non travaillé avec un taux calculé en fonction des côtisations liées à ses cachets
(un exemple: le taux est de 60 euros par jour, dans un mois de 30 jours avec 3 cachets effectués, il faudra multiplier 27 par 60.). Le statut est si avantageux qu’on imagine aisément quel genre de dérives et abus de toutes parts ont pu se produire très rapidement. Pourquoi est-il si nécessaire de réformer ce statut ( une question qui date de 10 ans déjá )? Et bien tout simplement parce qu’à ce jour le déficit a atteint 828 millions d’euros, soit en gros un rapport de 1 à 8 en terme de recettes et dépenses. Bien au delá de cette exception française, la question des rapports que doivent entretenir l’Etat et le monde du spectacle se pose grandement à mon sens. Que doit-on soutenir, à quel titre, dans quel but et en échange de quoi ou comment? La culture serait-elle étatique (mais c’est sa définiton puisque culture vaut systématiquement pour politique,). Et si la crise venait tout simplement de l’intérieur: intermittents trop avantagés et peu scrupuleux, régime trop gras laissant de côté toute question artistique? L’europe de la culture compte autant de systèmes différents que d’états membres alors que se dessine très clairement une sorte de pensée culturelle unique. L’art reste une voix d’exception, geulant pour tous, là ou la culture s’enfonce dans des programmes. Alors à quoi bon? Situation.
PS: (Voici la copie d’une lettre ouverte envoyée cet été au ministère de la culture ainsi qu’à différents médias ou associations. Il est bien entendu que tout cela n’engage que moi, mettant hors de cause tout groupe ou mouvement.)
# 3 / TEXTE :
»Lettre ouverte à M. Jean-Jacques Aillagon, Ministre de la Culture pour le compte de la République Francaise«
Par M. Noël Akchoté
Retoucheur pour son compte
Demeurant ces derniers temps du côté de la »Mitteleuropa«.
Varsovie, en bloc, ce 25 juillet 2003.
C’est pour encore pouvoir vous appeler »Monsieur« avant de devoir dire »Mon Ministre« que je me suis minutieusement séparé, pièce par pièce, une à une, d’un pas l’autre, de votre ministère de la Culture qui jadis fut encore et comme à tant d’autres, le mien.
Que je dise ici , le votre, n’a d’ailleurs rien de personnel. Disons si vous le voulez-bien: de la culture du ministère, en l’Etat.
Cela ne s’adresse donc ici qu’à votre fonction, et non à l’homme dont on me dit le plus grand bien par ailleurs.
Comme vous le savez fort bien, ce ne sont ni les théâtres, ni les festivals, ni même un seul instant la culture elle-même qui brûlent en France depuis quelques semaines. Ce qui se consume d’un feu extérieur ces derniers jours n’est qu’un statut, une simple carte postale, celle de »La Vie d’Artiste«. Ces feux-lá sont contractuels et même disons-le culturels. ??a sent le roussi dans les appartements, c’est la raison pour laquelle on en vient à descendre dans la rue pour prendre un peu l’air. Mais justement, oui, les festivals sont autant de »Bastilles à prendre« si l’on veut bien s’entendre et ne point se méprendre sur ce que la Bastille fut à l’heure de sa prise révolutionnaire: Un hôtel bourgeois, rien de moins!
La grève, les mouvements, les slogans des intermittents du spectacle ne se démarquent en rien des lois du spectacle. La culture est pourtant synonyme d’emploi ! Alors, cher Ministre, vous les sauviez tout juste d’un naufrage certain et voilà qu’ils vous dansent la carmagnole en retour? Spectacle vivant, patrimoine culturel, décentralisation, nous restons lá dans le bon secteur d’activité. Cinq cent sept heures pour devenir artiste, on aura jamais rien inventé de plus séduisant. Ah, l’intermittente distraction cultutivable à loisir! Tout cela est fait au bonheur des clowns, des prêtres, du personnel de maison et même un peu de celui du public. Il n’y a pas de honte à avoir. Mais que d‘ erreurs, tout de même!
Aujourd’hui je n’entends parler que de droits ouvrables. Oú sont donc passés les devoirs, Monsieur le Ministre? Au moment même oú la culture diffuse en continu, sans jamais flèchir ni rompre, comment se fait-il que l’on puisse y trouver à redire, même par intermittence? On vous crache dans la soupe, n’en doutez point ! Surtout que la culture est maintenant une affaire reglée, non? La chaîne est enfin bouclée. Qui de l’éducation à l’emploi n’a plus besoin d’aller voir ailleurs pour gonfler ses effectifs, remonter ses courbes en statistiques, présenter le plus possible au plus grand nombre.
Et bien je ne suis pas de celles ou ceux-lá, voyez-vous. Je n ai pas trouvé à m’arrêter au pied du mur des droits ouverts. J’ai fait la culture buissonière, sauté le parapet sans discontinuer et puis pris ensuite tous les chemins qui s’offraient à moi, fussent-ils lourds de devoirs, de doutes ou de dangers. Cela n’a d ailleurs pas été long à se faire ressentir, je vous le confirme. Il y a de la permanence lá-dedans et le spectacle s’en trouve tout d’abord rabougri mais trés vite bien mieux logé à l’enseigne qui au fond est la sienne. »Chacun sa place« comme lancent les réclames pour les semaines de bontés bien charitables pour les arts en déconfiture.
Au fond, seuls les techniciens ont à subir des saisons d’intermittence, des périodes sans rien à faire, ni monter ou démonter. L’artiste, même en mal d’emploi, n’est jamais à court de travail un seul instant. Voilá un devoir qui, s’il n ouvre pas le moindre droit mis à part ceux dits d‘ auteur, semble coûter beaucoup plus que ce que l’on s’imaginait.
Au prix des efforts que votre ministère fait depuis de nombreuses années maintenant, il est vrai que cette grève doit être considérée comme un peu ingrate ou scélérate. Tous ces
travailleurs, qui sans vous seraient sans aucun doute occupés ailleurs, à quoi pensent-ils?
On a jamais vu royaume ni empire garder indéfiniment ses pires sujets, les plus coûteux, quand bien même fussent-ils peintres ou musiciens, ou même juste comme ça pour plus tard, au cas oú la situation s’améliorerait.
Dans toute cette agitation des derniers jours, monsieur le Ministre, j’ai en vain cherché quelque allusion possible, même maigre, à la question du devoir et à celle de l’échange. Et bien, je n’ai rien trouvé. Pas une seule parole, ni article, ni même un mot couvert qui m’y entraîne. Ce n’est qu’un déluge de calculs froids, de taux gelés, de manques à gagner en fin de parcours, de recettes à perte qui ne tiennent presque plus compte des entrées . ?? la question centrale de ce que l’argent versé par les caisses d’allocation chômage doit venir permettre de faire ou même soutenir, ne sont opposées que des question pratiques et individuelles. Est-ce lá donc le lot de la culture? La culture du lot, alors. Cela, je m’y refuse.
Car par lá tout serait devenu intermittence. Il n’y a qu’à regarder dans les coulisses de ce spectacle unique ou rendu tel plûtot. Que paye-t-on ainsi, le travail ou le droit à un pouvoir d’achat rétabli à égalité pour tous? Voir peut-être meme un peu plus étant données les hautes idées que la profession se fait d’elle-même.
La vie d’artiste n’a rien de précaire, elle se doit d’être dangereuse. Cela n’a strictement rien a voir. Et que l’on choisisse son camp, si la culture est une entreprise, c’est au registre du commerce qu’elle doit rendre ses comptes, et non à l’histoire de l’art. D’ailleurs permettez moi de vous le dire ainsi: L’art se contre-fout des entreprises culturelles. Il en va de l’art et de la culture comme de la poule et du couteau, même si ce dernier peut encore s’imaginer pouvoir tuer la bête, qu’on ne s’inquiète pas trop, des monstres, il y en aura d’autres.
Regardez, l’artiste en intermittence a déjá tout validé de lui même. Puisqu’il manifeste pour ses droits attenants au régime, c’est donc qu’il y est totalement soumis en tant qu’employé de cette entreprise culturelle. Pléonasme, il n’y avait de culture que celle du domaine politique et elle est, tout comme la politique, maintenant devenue économie de marché. N’ayez donc crainte qu’ils se dérobent, sans elle ils ne sont plus rien. Si tant est d’ailleurs qu’ils n’aient jamais été autre chose que des produits formés par et pour la cause dans le but unique de remplir ces fonctions qu’on voudra culturelles,ce qui au fond importe bien peu.
Agent de surface hyper-culturelle, chargé de mission auprés du minsitère des théâtres, gérant d’un secteur d’activité de la grille des programmes, part de marché, résidu d’avant-garde depassée à vocation ludico-pédagogique, etc … tout ce qu’on voudra, les pires conneries comprises.
Il suffirait d’accepter le fait que la culture va même un peu au-delá de ce que l’on veut bien admettre généralement et il n’y aurait plus alors qu’à transformer ces emplois d’intermittents en postes fixes. La voilá la solution, faire basculer les statuts et enfin appliquer les tarifs en vigueur dans le monde de l’entreprise et non dans celui du spectacle. Contrat à durée déterminée ou indéterminée, fonctionnaires, … ?? culture, service, et à service rendu, sécurité de l’emploi. Et tournez-donc manèges et chevaux de bois. Encore un dernier tour!
Ah, là ça ferait moins le zazou bariolé dans les chambrées ou sur la place publique mais on y perdrait rien au change, monsieur le Ministre, bien au contraire. La culture se tiendrait autrement plus droite. ?? fausse gauche, vrais débouchés, n’est-ce pas? Et puis c’est un beau métier la culture. Tous ces kioskes à briquer, ces fanfares à regonfler, ces cirques à remuer, la vente à l’étalage de produits cultivables, les magasiniers en concept ou vidéo , la secrétaire des arts, le coordinateur de projet, et que sais-je … Il n’y a pas de sot métier, il n’y a que des cons pour s’y méprendre, passez-moi l’expression.
Et je dis cela, je ne dis rien. Je vous écris du fin fond de l’europe centrale à l’ancienne, moi qui n’est plus fait dans la culture depuis un bon bout de temps déjá et qui n’y reviendrai pas pour les saison suivantes, non plus:
Qu’on m excuse si je vous rends mon billet et que j’offre ma place sur la piste aux étoiles à un pauvre malheureux dans le besoin.
Vous l’aurez-donc compris, je ne suis pas intermittent du spectactle. Je ne l’ai été que trois petites années en tout par erreur, plus une encore, mais celle-lá par lâcheté.
Ici le travail ne manque pas même si l’emploi se fait rare. Mais le boucher ne saurait être forgeron ni le pâtissier, soudeur, et je ne songe pas à changer mes habitudes pour l’instant.
Nous nous retrouverons peut-être un jour, à l’heure des derniers plus certainement, et ce sera avec grand plaisir que je vous écouterai me compter vos souvenirs. Nous aurons un peu vu le même monde, seulement pas depuis le même endroit. Vous ici, moi ailleurs, autant que possible.
Ce monde aura un peu evolué, je l’espère, et ces histoires de culture nous ferons bien rire.
Résistez, Monsieur le Ministre, l’issue est proche et les tee-shirts sont enfin prêts!
Veuillez agréer mes plus sincères salutations.
Votre plus fidèle D??SERTEUR.
Noël Akchoté
Traduction pour la parution allemande dans skug Vol. 56, 9-11/2003: Alessandro Barberi