Lèche-cul, au singulier donc. Le troupeau, la troupe, la partouze d’occase qui dissimule mal sa chute toute trouvée. L’anti-suite, quoi. D\’un côté, l\’exception encore vivante qui se débat du tas informe, et de l’autre, cette sorte de nuancier de ratures fébriles. Caca-d’oie! Voilà la couleur parfaite. Résultante immédiate des mélanges les plus savants dans le domaine (Domaine étant très certainement le mot le plus juste qu’on puisse risquer juste avant Propriétaires). Alors quoi? Eh ben rien, justement, mais suffisamment quand même pour se laisser le plaisir de quelques devinettes.
La pratique de l\’analyse est fondée sur un pathétique, un pathétique qu\’il s\’agit de situer et il s\’agit de situer comment on y intervient. Intervenir fait surgir la notion d\’acte. Il est essentiel également de la penser, cette notion d\’acte, et de démontrer comment il peut venir à consister d\’un dire. J\’ai, dans le temps, comme on dit, cru devoir faire remarquer que l\’analyste, non seulement n’opère que de parole, mais se spécifie de n\’opérer que de cela. (Jacques Lacan, Les non-dupes errent, 21 mai 1974)
Tout le monde a désormais, semble-t-il, pris l’habitude de parler d’une manière générale de l\’enseignement de Lacan. Rarement sont directement invoquées sa doctrine, sa théorie et encore moins sa pratique. Il est pourtant difficile de considérer qu’il a enseigné quelque chose qui aurait été de la psychanalyse, ce qui sous-entendrait à la fois inscription institutionnelle et formation d’élèves par la transmission d’un savoir de la main à la main. C’est le fantasme de la pédagogie, mais ça ne peut pas être mis en jeu ici; enseigner est impossible, disait Freud. Qu’il se soit laissé enseigner, par ses analysants (pour le dire rapidement) ne fait pas trop de doute et c\’est peut-être là, aussi, que réside ce qu’il en retourne de Freud chez Lacan, en tant qu’il y a retour. Ils ont su laisser parler l’inconscient.
Peut-être l\’immobilité des choses autour de nous leur est-elle imposée par notre certitude que ce sont elles et non pas d\’autres, par l\’immobilité de notre pensée en face d\’elles. Le souvenir d\’une certaine image n\’est que le regret d\’un certain instant. Chacun appelant idées claires celles qui sont au même degré de confusion que les siennes propres. (Marcel Proust, A la recherche du temps perdu).
Lacan aurait donc enseigné … et cet usage tient d’abord au fait que ce qu’il devait apporter à la psychanalyse, il l’a aussi parlé. Cet enseignement n’a pas-tout été dit, puisque des écrits existent dans leur consistance, mais il l’a été pour partie et c’est précisément ce que le signifiant Séminaire, singulier majuscule, vient recouvrir d’une certaine unité qui pourrait faire illusion que celui-ci est une oeuvre à part entière, voire qu’il consiste en l‘??uvre-même de Lacan.
– Et revoilà l’os, le morceau de bidoche crue d’entre les gencives des braves gens. Comme si lire devait être nécessairement un moyen d’enrayer cette saleté de bavardage, souillure parlante, logorrhée à haut risque de contresens. Tout contre, oui, oui. –
Pourtant, si la totalité de ce que Lacan a pu écrire constitue un ensemble, le Séminaire, en tant que continuité de plus de 25 ans de dire, n’existe pas. Ou bien encore: il a pu exister, en son moment même, mais il n’existe plus. Que la version officielle du Séminaire, environ publié pour un tiers, puisse se compléter ci et là de diverses versions plus ou moins officieuses qui voudraient en faire un ensemble ne justifiera pas que l’oeuvre de Lacan n’est pas achevée, ni même que le Séminaire doit venir complémenter les divers écrits pour constituer l’oeuvre de Lacan. Ces Ecrits, dans leur totalité, constituent l’oeuvre de Lacan, pleine, achevée et close.
Le spectacle est le capital à un tel degré d\’accumulation qu\’il devient image. (Guy Ernest Debord, La société du spectacle).
D’ailleurs, les Ecrits de 1966 tiennent à peine dans la main lorsqu’on veut les lire, à la manière de l’objet a qui file entre les doigts dès qu’on cherche à le saisir. 900 pages dont Lacan se demandait si ça allait tenir; à entendre: la reliure de l’objet tiendrait-elle le coup. (On sait qu’elle ne tient pas, si l’on s’y colle.)
Ce n\’est là qu\’un effet, cette espèce … d\’odeur de vérité dans l\’analyse: qu\’un effet de ceci qu\’elle n\’emploie pas d\’autre moyen que la parole. Strictement pas. Qu\’on ne vienne pas me raconter, hein, qu’elle emploie le transfert. Parce que le transfert, lui, n\’est pas un moyen. C\’est un résultat qui tient à ce que la parole, par son moyen, moyen de parole, révèle quelque chose qui n\’a rien à faire avec elle et qui est très précisément le savoir qui existe dans le langage. (Jacques Lacan, Les non-dupes errent, 11 décembre 1973)
Tout est dans les Ecrits et pas-tout l’est dans le Séminaire, considèrent certains. D’autres ne jurent que par le Séminaire, peut-être encore un peu trop fascinés par la figure de maître qu’ils ont pu voir en Lacan-leur-parlant.
Je ne commanderai pas à mes désirs et à mes envies, mais je ne veux pas non plus qu\’ils me conduisent, je veux être ces désirs et ces envies. (Antonin Artaud, Lettre du 20 septembre 1945)
– L’exception est singulière. ??a paraît con à dire, mais combien de fois devrons-nous l’entendre avant de l’énoncer? Lacan tient bien les bibliothèques en édition originale. Est-ce de sa faute? –
Reste malgré tout que le Séminaire est ce que Lacan a parlé et que le poids face à ses écrits est sensiblement différent. Il est d’ailleurs devenu coutume d’en vouloir faire un écrit, de ce Séminaire, par exemple en plaçant la virgule à l’endroit le plus juste. Ceci est d’autant plus vrai concernant les versions officieuses. C’est pourtant dans les Ecrits que la virgule tient toujours la bonne place. Se borner à finalement rendre impossible l’achèvement du Séminaire, à la fois dans une rédaction et une complétude qui seraient convenables, dans un après-coup tellement durable, voilà qui peut parfois sembler dérisoire. Ou bien cela montre-t-il ce qu’il pourrait en être effectivement du statut du Séminaire, à savoir qu’il est impossible comme tel? Qu’il est impossible d’en faire un objet?
– Sauf à y prendre un immense plaisir soi-même. Si, si, même après-coup, je te coupe mais je t’écoute. –
Dire que chacun fait alors dans son coin sa petite variation sur le thème du Séminaire n’est plus très loin, et c’est d’autant moins grave que l’oeuvre existe déjà sans ces errements divers.
K7, CD-R, MP3, musées on-line, polycopies, photocopies, reliées ou pas, magnets pour frigidaire, tous rituels dignes d’un Padre Pio. Au même chapitre, presque du même niveau – tiens au fait, Lacan et Freud, deux types résidant au premier étage – visitez donc chaque fois que vous le pourrez la boutique-souvenir de la Berggasse 19! Et n’oubliez pas de passer par les chiottes car, grand service rendu par la ville en retour, on peut un siècle plus tard aller faire ses besoins chez le bon docteur Sigmund.
Pourquoi ne pas dire non plus qu\’il peut y avoir quelque chose d\’un débordement de transfert dans cet acharnement à faire passer le Séminaire à l’écrit?
– Je ne dirais pas exactement les choses ainsi. Pas dans le passage, mais très certainement dans le choix de leur objet par les lèche-culs, ça ne fait aucun doute. C’est ce qui fera éternellement la différence entre les Evangiles et les Confessions d’Augustin. –
C’est probablement ce que Jacques-Alain Miller a voulu signifier au semblant de communauté psychanalytique lorsqu’il a proposé d’autoriser d’autres versions du Séminaire que celle qu’il établit de droit (disons-la »officielle«). Il y aura donc peut-être des Séminaire-au-singulier de Lacan et l\’on peut même imaginer que ça deviendra bientôt un exercice
de style, si toutefois quelqu’un ose s’y frotter et si un véritable intérêt commun vient à le justifier. Ainsi, l’on reverra poindre indéfiniment questions et querelles concernant la bonne place de la virgule, du point. Et ainsi de suite, le Séminaire-à-la-virgule …
– On imagine aisément, mais c’est déjà le cas dans ces cercles restreints, tout contrits qu’ils sont, ces Lac-anus, l’exercice de la version ou du thème à l’oeuvre. ?? se conjuguer des pages et des pages de je t’exclus, tu m’exclus, nous ex-clue.
Il faut que j\’innove, ai-je dit – sauf à rajouter que: pas tout seul. Je vois ça comme ça: que chacun y mette du sien. Allez-y. Mettez-vous à plusieurs, collez-vous ensemble le temps qu\’il faut pour faire quelque chose, et puis dissolvez-vous après pour faire autre chose. (Jacques Lacan, Dissolution, 18 mars 1980)
Pour en finir, prenons ceci:
Ce qui est toujours nouveau dans le processus de la production des choses ne se retrouve pas dans la consommation, qui reste le retour élargi du même. Parce que le travail mort continue de dominer le travail vivant, dans le temps spectaculaire le passé domine le présent. (Guy Ernest Debord, La société du spectacle).
Quelle qu’en soit l’exacte nature d’échange, c’est bien à l’usage de quelques plus-values de transfert que cette revue se fait consacrer aussi tout de même. D’ailleurs, puisque vous nous lisez traduits d’une langue étrangère, nous n’en savons rien non plus et c’est très bien ainsi. Grâce soit rendue à notre cher traducteur et à la prochaine fois.
Si je cherchais ces feuilles, ce n\’est pas pour me rassurer de ce que j\’ai énoncé la dernière fois, dont je n\’ai pas le texte à cette heure-ci, je viens de m\’en plaindre. Il me revient des propos – je n\’ai aucune peine à me donner pour cela – du type de celui-ci, qu\’il se trouve que certains se sont demandé en quelques points de mon discours de la dernière fois, comme ils s\’expriment, où je veux en venir. D\’autres propos me sont revenus d\’ailleurs qu\’on entend mal au fond de la salle, (rires), je vais m\’efforcer, je ne le savais absolument pas la dernière fois, je croyais qu\’on avait une aussi bonne acoustique que dans l\’amphithéâtre précédent, si on veut bien me faire signe, au moment où … malgré moi, ma voix baissera, j\’essaierai de faire de mon mieux. (Jacques Lacan, D’un discours qui ne serait pas du semblant, 20 janvier 1971)